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Comment repenser le stationnement vélo face aux nouveaux usages ?

Alors que la pratique du vélo se développe et se diversifie, les besoins en stationnement évoluent et se complexifient. Comment s’adapter ? Pour comprendre ces mutations et imaginer les solutions de demain, le point avec deux experts du bureau d’études Sareco : Thierry Delvaux, administrateur et expert stationnement, et Julien Cavaille, chef de projet et référent vélo.

Publié le 12 décembre 2024
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Crédit photo : Bartosch Salmanski

Quels sont aujourd'hui les grands enjeux du stationnement vélo ?

Julien Cavaille : nous identifions trois enjeux majeurs. Tout d'abord, au sein des grandes villes, nous observons une saturation croissante de l'offre de stationnement sur voirie, de jour comme de nuit. C'est particulièrement visible dans les quartiers denses et les centres historiques, ainsi que dans certains pôles gares des grandes métropoles. Il est intéressant de noter que, dans les gares, nous observons des situations très contrastées : certaines gares de banlieue disposent d'abris vélos qui restent sous-utilisés, tandis que d'autres sont saturés.

Le deuxième enjeu concerne l'évolution des vélos eux-mêmes. Avec la démocratisation de la pratique, nous voyons apparaître des vélos de plus en plus diversifiés et volumineux : vélos cargos, vélos avec sièges enfants, usage de sacoches... Cela pose de nouveaux défis en termes d'aménagement. Par exemple, certaines villes avaient installé des arceaux espacés de 60 cm pour éviter le stationnement des scooters, mais ces espaces sont aujourd'hui trop étroits pour certains vélos. Et, même si l'espacement est de 90 cm, comme dans la Métropole de Lyon par exemple, les difficultés se font sentir quand tout est plein : les usagers s'accrochent les vêtements, ont du mal à détacher leurs vélos.

Pour répondre spécifiquement aux besoins des vélos cargos, notamment autour des écoles, la métropole de Lyon a développé une solution intéressante. Au lieu de positionner les arceaux traditionnels à 90 cm l'un de l'autre, ils les installent à 1,30 m et en épi sur les places de stationnement voiture.

Thierry Delvaux : je pense aussi à la problématique des pneus plus larges, qui ne sont pas compatibles avec certains systèmes d'accroche, comme les crochets dans les trains ou les arceaux avec fente pour la roue avant. L'arceau en U reste la meilleure solution.

Julien Cavaille : enfin, le troisième enjeu majeur est celui du vol. À Lyon par exemple, nous avons identifié que les principaux sites de vol ne sont pas nécessairement sur voirie, mais sur un campus universitaire et un site hospitalier, des lieux qui accueillent une forte concentration de vélos mais sont encore peu équipés en stationnement sécurisé. Cela pose une vraie question car la ville, même si elle est volontariste, ne peut pas imposer des arceaux sur un site privé. Il y a donc un enjeu de mobilisation de l'ensemble des acteurs qui disposent d'espaces accueillant du public.

Comment les besoins diffèrent-ils entre zones urbaines denses et territoires moins denses ?

Julien Cavaille : le contraste est saisissant. Dès qu'on s'éloigne des centres-villes, au-delà du périphérique, la présence du vélo s'effondre, en dehors des usages sportifs ou touristiques. Dans ces zones, la voiture reste plus compétitive en termes de temps de trajet, et le manque d'infrastructures cyclables sécurisées n'encourage pas la pratique.

Thierry Delvaux : je vais prendre l'exemple de Lisieux, une ville de 20 000 habitants dans le Calvados. Des efforts ont été faits pour encourager la pratique du vélo, avec l’installation d’arceaux près de la médiathèque et de quelques points stratégiques. Cependant, le stationnement vélo reste le parent pauvre de la politique cyclable : il manque un véritable maillage pour couvrir l’ensemble de la ville, à l’image à l’offre de stationnement dédiée aux voitures. La Communauté d’agglomération investit pour relier les différentes communes du territoire, mais l'usage quotidien du vélo, comme pour faire ses courses, n'est pas encore entré dans les mœurs.

Julien Cavaille : un paradoxe intéressant s'observe dans certaines villes balnéaires. On trouve souvent des infrastructures vélo bien développées dans les zones touristiques, qui ne fonctionnent que trois mois par an, tandis que les centres-villes historiques à l’intérieur des terres, où vivent les résidents à l'année, en sont dépourvus.

Quelles sont les innovations les plus prometteuses dans le domaine du stationnement vélo ?

Julien Cavaille : une innovation notable concerne le stationnement temporaire, avec des arceaux déployables pour les événements. C'est une solution qui a notamment gagné en visibilité avec les Jeux olympiques et paralympiques de Paris. On en observe aussi sur le littoral, en lien avec la fréquentation des plages en haute saison. On voit deux approches : des systèmes d'arceaux sur rails facilement déployables, et des solutions plus artisanales développées par les villes elles-mêmes (avec des barrières mobiles de police par exemple).

Un autre développement intéressant vient de la métropole de Lyon, qui a créé un site internet cartographiant l'ensemble de l'offre de stationnement vélo sur son territoire. La particularité est qu'il recense non seulement les équipements publics de l’ensemble des acteurs et collectivités du territoire, mais aussi les offres privées ouvertes au public, avec des liens directs vers les gestionnaires. Le site permet également de localiser les stations vélo, les fontaines à eau et les pompes à vélo sur l'espace public. C'est un outil particulièrement utile pour les cyclistes.

Autre innovation : les aires de stationnement dédiées aux vélos cargos pour les livraisons. À Lyon, la ville expérimente la transformation d’aires de livraison classiques en zones spécifiques pour les vélos, grâce à l’installation de piquets pour empêcher les véhicules quatre roues d’y stationner.

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Crédit photo : Google Maps

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Crédit photo : Sareco

Thierry Delvaux : une évolution majeure concerne les exploitants de parkings automobiles, qui intègrent désormais le vélo dans leur offre. Ce n'est plus anecdotique : des acteurs comme Indigo et Effia ont créé des filiales spécifiques pour le développement de parcs vélos. C'est un changement significatif par rapport à il y a quelques années, où ces opérateurs ne voyaient pas l'intérêt économique du stationnement vélo. Cette évolution est motivée par deux facteurs : la diminution de leur clientèle automobile traditionnelle dans les parkings de centre-ville et la demande croissante des collectivités pour une offre de stationnement vélo.

Julien Cavaille : à Bruges, à Strasbourg, à Barcelone, et bientôt à Lyon, nous assistons également à la conversion de petits parkings/garages historiques de 30 à 60 places voitures en centre-ville, souvent devenus inadaptés aux voitures modernes plus grandes, en parkings à vélos.

Comment le cadre réglementaire a-t-il évolué et que faudrait-il améliorer ?

Thierry Delvaux : la loi d'orientation des mobilités (LOM) a notamment introduit l'obligation de neutraliser le stationnement automobile en amont des passages piétons d'ici 2026, créant des opportunités pour le stationnement vélo. Plus globalement, le Code de la Construction et de l'Habitation (CCH) a connu plusieurs évolutions importantes concernant le stationnement vélo. Ces évolutions ont un impact significatif sur les professionnels de la construction, qui intègrent désormais le vélo dans leurs préoccupations au même titre que les normes traditionnelles de construction.

Julien Cavaille : un progrès notable concerne les copropriétés, avec une simplification des procédures pour l'installation de stationnements vélos. Auparavant, il fallait obtenir la majorité des voix en assemblée générale. Aujourd'hui, si plusieurs voisins se mettent ensemble et financent eux-mêmes l'installation, ils peuvent avancer ensemble sur le projet (1). Cependant, il reste des blocages, notamment dans le parc locatif privé. En France, 50 % du parc locatif appartient à 3,5 % des ménages, et nous avons des retours d'expérience, montrant qu’un seul multipropriétaire propriétaire peut bloquer des projets d'installation de stationnement vélo porté par les locataires. Il y a peut-être là un besoin d'évolution réglementaire pour obliger les bailleurs publics et privés à fournir des solutions de stationnement vélo pour leurs locataires.

Comment anticipez-vous l'évolution des besoins à moyen et long terme ?

Thierry Delvaux : la professionnalisation du secteur va s'accélérer. Avec des parcs vélos de plus en plus importants, nous aurons besoin de gestionnaires dédiés. Ce ne pourra plus être géré de manière annexe par le gardien de la résidence ou les employés de la médiathèque.

Julien Cavaille : dans les zones tendues, il faudra être créatif. À Lyon, certains quartiers sont déjà saturés jour et nuit. Il faudra peut-être, comme à Amsterdam, convertir des rues entières en zones de stationnement vélo. La reconversion de locaux commerciaux vacants en parkings vélos est une autre piste intéressante, déjà expérimentée à Bordeaux et en cours de développement dans d'autres villes. Nous observons également une évolution positive du côté des bailleurs sociaux. À Lyon, nous avons récemment travaillé avec un bailleur sur l'équipement de 700 logements répartis sur 11 bâtiments et 36 entrées d'immeubles, ce qui représente littéralement toute une partie d’un quartier.

Thierry Delvaux : un point crucial pour le développement de la pratique reste le stationnement à domicile. Aujourd'hui, beaucoup de gens ont un vélo mais ne l'utilisent pas quotidiennement car il est difficile d'accès, rangé dans une cave ou sur un balcon. Le développement d'une offre de stationnement de qualité à domicile est essentiel pour encourager la pratique régulière. Le programme Alvéole Plus a permis des avancées significatives sur ce point au sein des copropriétés.

Quel message souhaitez-vous adresser aux décideurs ?

Julien Cavaille : il est crucial de maintenir les programmes de soutien financier, comme Alvéole Plus ou Objectif Employeur Pro-Vélo, qui ont montré leur capacité à faire évoluer les pratiques ces dernières années. En période de restrictions budgétaires, la mobilité active est souvent la première sacrifiée, mais ces investissements sont essentiels. Nous observons des changements significatifs dans les comportements des acteurs. Par exemple, quand nous travaillons avec des hôpitaux aujourd'hui, ils sont déjà au fait de ces dispositifs de financement, alors qu'il y a quelques années, ces outils étaient méconnus.

Thierry Delvaux : le vélo est à la croisée de l'urbanisme et des déplacements. Si les aménagements de voirie progressent bien, l'intégration du vélo dans les nouveaux projets immobiliers reste parfois négligée. Nous voyons encore trop souvent des projets neufs où l'espace réglementaire vélo est mal conçu, réduit à un espace vide non aménagé. Il faut anticiper : l'expérience montre que lorsqu'on crée une offre de qualité, la demande suit. Le développement de la pratique du vélo est une tendance de fond, portée par de nombreux facteurs favorables, il faut s'y préparer.

Note :
1/ Un vote à la majorité simple (art.24) s'applique pour la situation suivante : "j) l'autorisation donnée à un ou plusieurs copropriétaires d'effectuer à leurs frais les travaux permettant le stationnement sécurisé des vélos dans les parties communes, sous réserve que ces travaux n'affectent pas la structure de l'immeuble, sa destination ou ses éléments d'équipement essentiels et qu'ils ne mettent pas en cause la sécurité des occupants".
Un vote à la majorité absolue (art. 25) est nécessaire pour "n) l'ensemble des travaux comportant transformation, addition ou amélioration".
Loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000047299294
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